Le départ est précipité ce matin, la personne qui tient la chambre d’hôtes ayant un rendez-vous à l’extérieur à 9h15. Comme l’étape d’hier, je démarre cette journée par une côte d’un bon kilomètre. Toujours un peu difficile la montée quand on démarre à froid ! Ce matin, le ciel est couvert. Mais dès 10h00, quelques touches de bleu dans le ciel apparaissent. Sur le plateau, les tours de refroidissement de la centrale de Belleville sont à portée de pied ! Une dizaine de kilomètres à vol d’oiseau. Au-delà de ces tours, je distingue nettement les collines du Sancerrois. J’hésite un instant. Plutôt que de remonter vers le nord et traverser la Sologne sans grand intérêt côté paysage, ne devrais-je pas continuer plein ouest et rejoindre Sancerre et ses vignes ? L’idée mérite réflexion. En même temps, passer par Sancerre m’obligerait ensuite à remonter par la Touraine, région qui m’est familière et que je souhaite éviter. La décision est prise. Je maintiens le trajet prévu. Cap au nord !
Je rejoins le GR3C. A un moment, le chemin croise une route. Carrefour important car, à cet endroit précis, je change de pays (je passe de la Puisaye à la Sologne), je change de département (je passe de l’Yonne au Loiret) et je change de région (je passe de la Bourgogne au Centre-Val de Loire). Pour fêter cet évènement, le ciel s’allège de quelques nuages. Il fait frisquet, 7 à 8°, mais ce n’est pas désagréable. S’il n’a pas plu cette nuit, les chemins sont encore boueux mais les herbes sont sèches. La marche est régulière et agréable. Un coup d’œil au sol de temps en temps pour s’assurer de ne pas glisser. Le GR3C que j’emprunte est une ancienne voie romaine. Construite en 80 à l’époque de l’empereur Domitien, cette voie permettait de relier la Saône à la Loire. Mes pensées remontent deux millénaires en arrière : Combien d’ouvriers ont dû payer de leur vie pour la construction de cette voie ? Quel salaire, si salaire il y avait, pour rétribuer ces ouvriers ? Quels outils pour abattre les arbres, casser les pierres pour paver le chemin ? Je décide de creuser le sujet à mon retour !
Plus j’avance sur cette voie romaine, plus le chemin est boueux. A chaque pas, j’emmène sur chacune de mes chaussures 500 grammes de boue ! Le vent intervient. J’alterne le chaud quand le soleil pointe son nez et le froid quand les nuages prennent le dessus. J’enlève ma parka puis je la retire. Tous ces exercices ralentissent la marche. Alors je pense à ces hommes d’un autre temps en train de construire cette voie romaine sous la pluie, le vent, la brume, la neige, le soleil, le froid, le chaud …
En sortant de forêt, j’entends un bruit de fond qui ne m’est pas étranger. Sur le coup, je n’y fais pas attention. D’abord de faible intensité, il devient de plus en plus présent. C’est au bout d’une bonne dizaine de minutes que le déclic a lieu. C’est le bruit d’une autoroute. Je regarde la carte. C’est l’A77 qui relie Paris à Nevers. Il passe à 6 kilomètres. Décidemment, le bruit engendré par le passage des camions porte loin !
Au départ, j‘avais prévu une étape courte de 14 kilomètres. Mais l’heure de midi approchant et mon chemin ne croisant aucun village, je décide de faire un détour par Bonny-sur-Loire. Deux mille habitants, il y aura bien un petit bar restaurant pour faire une pause. Au final, j’ai bien trouvé le petit restau en question mais aussi 8 kilomètres de plus au compteur de l’étape !
En Sologne, les maisons sont de type individuel. Chacune a son chien, souvent deux, parfois trois. Souvent, ce sont des petits chiens sans risque pour le randonneur. Ils peuvent aboyer et sauter autant qu’ils le veulent, pas de souci pour le marcheur, le grillage et le portail le protège. Mais cet après-midi, je suis passé dans un endroit peu habité, en sortie de hameau, et à mon passage deux énormes chiens noirs de taille inquiétante se sont mis à aboyer comme des fous, à vouloir enjamber le grillage et à me sauter dessus. A plusieurs moments, j’ai cru qu’ils arriveraient à leurs fins. Bien entendu, le propriétaire était aux abonnés absents. En temps normal, je ne change pas le rythme de mes pas. Sur ce coup, persuadé que ces chiens finiraient par franchir le grillage, j’ai pressé le pas. Cent mètres plus loin, ces deux excités continuaient leur manège. Ces histoires de chien, c’est vraiment une calamité pour le marcheur.
Ce soir, dans la chambre d’hôtes, je fais connaissance d’un couple de retraités allemand. Ils sont là depuis plusieurs jours et randonnent en vélo dans la région, lui en vélo de randonnée, elle en vélo électrique. Nous sommes à trois pour le dîner. Je ne parle pas allemand, ils parlent un peu le français mais sans plus. Nous décidons de parler anglais. La discussion s’est engagée quand l’homme a avoué avoir mis plus de deux ans à accepter sa retraite. Aujourd’hui, à 70 ans, cinq ans après avoir quitté sa vie professionnelle, il en parle encore avec une certaine émotion. Il était responsable de la plus grande bibliothèque universitaire d’Allemagne, 400 personnes sous sa responsabilité. Tous les deux sont nés dans l’ex Allemagne de l’Est, lui d’un milieu aisé, elle d’un milieu modeste. Ils ont connu les difficultés de la vie en Allemagne de l’Est, la chute du Mur, les années qui ont suivi….Ils n’ont malheureusement pas eu d’enfants. Bref, leur histoire est passionnante. Nous abordons pendant plus de trois heures les sujets d’actualité : le travail, l’éducation, l’évolution du monde, la politique, l’Europe, les migrants, les moteurs truqués de Volkswagen… Ils me font connaître également Jean-Henri Fabre, un français qui a vécu au XIX° et qui fut l'un des précurseurs de l’éthologie, la science du comportement animal. Il était capable d’observer pendant des heures (des jours !) toutes sortes d’insectes. Echanges passionnants. Je garderai en mémoire la simplicité de ces gens ordinaires, pas si ordinaires que cela !
Arquian - Ousson-sur-Loire : 22 km / 5h (cumul 635 km / 151h)
Département : Nièvre (58) puis Loiret (45)
Région : Bourgogne puis Centre-Val de Loire
Paysage : *
Météo : ciel couvert et vent. 12°
Hébergement à l'arrivée : chambre d'hôtes
Le physique : premières ampoules côté gauche
Le moral : toujours autant de plaisir même si les paysages de cette étape sont plus monotones
© Philippe MATHON