Depuis plusieurs jours, la météo annonçait de la pluie continue pour ce vendredi. Pas d’erreur. Dès ce matin, en me réveillant, j’entendais les gouttes frapper le sol. C’est une pluie fine et régulière. Je m’équipe donc en conséquence, pantalon pluie, parka et parapluie. A 10h00, je quitte l’hébergement après avoir recouvert mon sac à dos de sa housse anti-pluie. Le chemin est détrempé. Je marche sur un tapis d’herbes et de feuilles mortes imbibé d’eau. Heureusement, les chaussures, spécialement traitées, font preuve une nouvelle fois de leur efficacité. En fin de journée, je serai agréablement surpris de constater que l’eau n’aura pas réussi à pénétrer à l’intérieur. Sacrée performance !
Dès les premiers mètres, j’entends un bruit de fond, d’abord léger, puis de plus en plus perceptible. Au début, je n’y prête guère attention, mais plus ce bruit s’amplifie dans le silence de la forêt, plus il devient évident. Ce bruit m’est maintenant familier. C’est le bruit caractéristique d’une autoroute. C’est l’A71 qui relie Orléans à Clermont-Ferrand. Dans une bonne demi-heure, je le franchirai.
Une nouvelle fois, personne sur le chemin. Le ciel uniformément gris, le crachin et le froid ont dû persuader les oiseaux de se retirer. Où sont-ils ? Les jours de beau temps, ils crient et chantent. Ils sont partout. Aujourd’hui, ils ont disparu. Pourtant, ils sont là mais où ? Mystère !
Je suis maintenant sur une petite vicinale. Aucune voiture ne passe. Les kilomètres se suivent et se ressemblent. Bois et étangs se succèdent. A quoi vont mes pensées ce matin ? Je songe à une douleur sur la plante du pied gauche qui s’installe depuis mon entrée en Sologne. Rien de bien grave. Un début de brûlure mais qui peut évoluer en ampoule. Depuis ma reprise début octobre, les petites contrariétés physiques se situent toujours du côté de mon pied gauche. Rien à signaler côté droit. Pourquoi alors ma petite rêverie tranquille de ce matin glisse t-elle de mes pieds à la politique ? Aucune idée. Toujours est-il que j’en viens à faire un parallèle entre mon tracas à mon pied gauche et les complications de la politique actuelle de la gauche. Les difficultés se situeraient-elles toujours du côté gauche ? Mon esprit divague ensuite sur le centre : on marche avec deux pieds, le gauche et le droit, on écrit avec la main gauche ou la main droite, on possède un cerveau gauche et un cerveau droit. Le pied centre, la main centre, le cerveau centre n’existent pas ! Alors pourquoi y a-t-il un centre en politique ? C’est certainement une anomalie politique !
L’asphalte de la vicinale me ramène à la réalité. Je marche sur cette route depuis une bonne dizaine de kilomètres. J’emprunte les bas-côtés pour éviter de chauffer les pieds sur le bitume. Une fois à droite, une fois à gauche pour équilibrer l’effort musculaire. Les bas-côtés sont plats et entretenus, composés de sable, de mousse, d’herbes, de feuilles mortes, de fougères et d’épines de pin. En fait, je marche sur un tapis. Le pas est léger et rapide. Je marche à une moyenne de 5,5 km/h. Le rythme est soutenu.
Une nouvelle fois, mon esprit s’égare. Après mes divagations politiques de tout à l’heure, mes pensées tournent autour de l’entretien entendu sur RMC à 8h30 ce matin. JJ Bourdin recevait le romancier Pierre Rabhi. Homme de grande qualité, Pierre Rabhi est philosophe et essayiste. J’ai déjà lu un certain d’articles le concernant et entendu des entretiens tenus ici où là. C’est un défenseur de la nature, prônant le respect de la terre, défendant un mode de société respectueux de l’environnement. Sans être un ayatollah de l’écologie, il remet en cause l’agriculture intensive, le productivisme, la compétition, une certaine modernité, l’argent maître du monde. Il est lui-même agriculteur et a fondé ce qu’il appelle l’agroécologie. Son interview de ce matin était remarquable. Comment ne pas adhérer à sa vision ? Mais mes réflexions pendant cette longue marche de ce matin tourne toujours autour de cette question : « D’accord, la société ne tourne pas forcément rond, l’argent a pris le pouvoir, le monde s’emballe. Mais que propose t-il de concret comme monde de substitution ? A part gagner le gros lot au Loto ou vivre en totale autarcie, pour vivre convenablement, il faut gagner sa vie, donc travailler, donc avoir un emploi. Et pour avoir un emploi, il faut une entreprise et qui dit entreprise dit rentabilité ». Mon grand regret dans ce type d’entretien un peu trop philosophique, c’est l’interviewer qui ne pose jamais la question : « ok, mais qu’est-ce que vous proposez concrètement pour concilier monde économique, indispensable pour que chaque gagne sa vie et sauvegarde de notre planète ? ».
Mes pensées doivent trop s’égarer aujourd’hui. Avec ce froid, j’avais sorti mes gants ce matin. Et je me rends compte à l’instant que je ne les ai plus ! Lors d’une pause, j’ai dû les laisser à terre. Une paire de gants toute neuve. Inutile de faire demi-tour. Etait-ce il y a une demi-heure, une heure, lors d’un arrêt photo ? Lequel ? Bon, c’est idiot et dommage. En plus, il fait vraiment frisquet !
Longue étape aujourd’hui. La pluie a accéléré le processus de changement de couleur des feuilles. Les jaune, rouge, ocre ont pris le pouvoir. C’est de toute beauté. Il manque juste un petit coin de ciel bleu.
J’arrive au terme de l’étape. 25 kilomètres en forêt et je n’aurai rencontré personne. Personne, vraiment personne. C’est incroyable. On peut encore marcher en France pendant 25 kilomètres sans croiser âme qui vive.
La Ferté-Saint-Aubin - Ligny-le-Ribault : 25 km / 5h30 (cumul 775 km / 182h)
Département : Loiret (45) puis Loir et Cher (41) puis Loiret (45)
Région : Centre-Val de Loire
Paysage : ** (les forêts solognotes en l'automne mais sous la pluie : dommage !)
Météo : de la pluie, de la pluie .... 5°
Hébergement à l'arrivée : chambre d'hôtes
Le physique : des ampoules à gauche, mais ça marche !
Le moral : 25 km sans voir personne ! Première fois depuis Bâle. Heureusement !
© Philippe MATHON