Il est 10h00 ce matin quand le taxi vient chercher mon sac à dos pour le déposer à l’étape de ce soir. Je discute dix minutes avec la conductrice. Elle habite un village voisin. La course de ce matin la surprend. Tous ses clients sont des personnes malades qui doivent se rendre dans les hôpitaux ou centres hospitaliers pour des examens de toute sorte. Lundi dernier, sur la même journée, elle a effectué 3 allers-retours. L’un sur Auxerre, le second sur Orléans et le dernier sur Paris. 1200 kilomètres dans la journée. Presque son quotidien ! A l’échelle nationale, le coût du transport des malades en ambulance ou en taxi est de 4 milliards d’euros ce qui représente 3% de la branche maladie du régime de la Sécurité Sociale. Dans nos campagnes françaises où les médecins disparaissent petit à petit et où les hôpitaux et cliniques ferment les uns après les autres, la solution du transport des malades est appelée à prendre de l’ampleur dans les années qui viennent. Sauf à généraliser ce que j’ai déjà entendu plusieurs fois depuis mon départ de Bâle de personnes, souvent âgées, rencontrées sur le bord du chemin : « j’ai des problèmes de dentition, j’ai des soucis avec ma vue, je n’entends plus très bien, mais mon généraliste me dit qu’il n’y a rien à faire ». Une solution pour inciter aux économies !
En quittant la chambre d’hôtes, le chemin traverse de grands champs de maïs. C’est en octobre que la plante arrive à maturation. Les feuilles, couleur vert soutenu en juillet-août, affichent maintenant des nuances beige ou grège. La moisson est en cours et durera jusqu’en novembre. Un kilomètre plus loin, un agriculteur amène sa première récolte de la matinée au séchoir, bâtiment agricole qui sert à sécher et à stocker les maïs. Il se tient à l’extérieur du bâtiment. Je m’approche de lui, lui dis bonjour et lui demande en quoi consiste l’opération qu’il mène. Il m’explique que son maïs destiné au bétail est récolté à un taux d’humidité de 25% et qu’en le faisant sécher, le taux atteindra les 15% ce qui autorisera alors sa commercialisation. S’ensuit une discussion sympathique d’une bonne demi-heure. Passionnant ! Voilà l’une des raisons pour lesquelles j’ai entrepris cette traversée de la France : rencontrer des gens que je n’ai pas l’habitude de côtoyer dans ma vie de tous les jours. Apprendre et découvrir des vies qui me sont inconnues ou étrangères. Un vrai bonheur ! L’homme est installé depuis 1988. Il est maintenant seul sur son exploitation. Il maîtrise la chaîne complète, de A à Z : la préparation de la terre (désherbage, traitement, irrigation), les semis, la récolte, le séchage, le stockage, la commercialisation. Chaque jour, il se lève à 5h00 du matin et termine le soir à 20h00. Nous échangeons sur son travail, sur la politique agricole commune, la place des agriculteurs et éleveurs dans la France d’aujourd’hui, les normes, les règles plus contraignantes en France que dans les autres pays européens, les OGM, les 35 heures… Les choses ne sont pas faciles pour lui et pourtant, je sens chez cet homme un vrai plaisir à exercer son métier. J’en profite pour lui dire ce que j’ai pu constater depuis mon départ de Bâle, à savoir la contribution majeure des agriculteurs à l’entretien et l’amélioration des paysages de nos campagnes françaises. Que seraient nos paysages si les champs étaient de grandes étendues en jachère ou en friche ? Voici une belle rencontre, avec un homme disponible, cultivé, passionné, aimant le travail, respectueux de la nature. Je le quitte. Il me dépasse avec sa voiture dix minutes plus tard et nous nous faisons de grands signes de la main.
C’est à Ousson-sur-Loire que je découvre la Loire pour la première fois depuis le début de cette traversée. J’emprunte le GR3 qui longe le fleuve de sa source en Ardèche jusqu’à la Baule. Aujourd’hui, le ciel couvert s’approprie toute la palette des gris, des plus clairs aux plus foncés : gris perle, gris argent, gris souris, gris acier, gris fer, gris ardoise, gris anthracite. Les nuages, cumulus et stratocumulus, se reflètent à l’identique dans le fleuve. Les oiseaux, très présents à cet endroit du fleuve, nichent dans les recoins du fleuve, de ses îles et de ses bancs de sable : aigrette garzette, alouette lulu, avocette élégante, balbuzard pêcheur, barge rousse, bihoreau gris, bondrée apivore, busard saint-martin, chevalier sylvain, cigogne blanche, combattant varié, échasse blanche, gorge bleue à miroir, grande aigrette, guifette moustac, guifette noire, harle piette, martin-pêcheur d'Europe, milan noir, mouette mélanocéphale, pic noir, pie-grièche écorcheur, pluvier doré, œdicnème criard, sterne naine, sterne pierregarin. Magnifique !
Jusqu’à Briare, le GR3, situé sur la rive droite du fleuve, est un chemin aménagé en piste cyclable. La voie est en fait une digue qui permet de contenir le fleuve en cas d’inondations. Je dois être à une bonne dizaine de mètres au-dessus du niveau du fleuve. Des bornes placées le long du chemin indiquent les niveaux atteints lors des crues exceptionnelles de 1825, 1846, 1856, 1866, 1872, 1893 et 1907. Des crues de 5 à 7 mètres de haut. Et pourtant, à l’époque, on ne parlait pas encore de changement climatique !
Je marche d’un pas précis, régulier, rapide. Encore une journée où je ne croise personne. Nous sommes en semaine, hors-saison, mais la météo est clémente et toujours personne pour apprécier cette éclatante nature !
A Briare, commune célèbre par son pont-canal qui passe au-dessus de la Loire, je fais une pause dans un petit bar restaurant. Il est 13h45 et une dizaine de clients sont attablés face à une télévision « grand écran ». C’est le temps de consulter les pronostics, d’analyser les cotes des favoris et des outsiders, de miser sur chacune des courses prévues dans l’après midi. C’est le temps du tiercé !
Je quitte Briare après avoir traversé son port de plaisance. Sur le quai, un pêcheur immobile absorbé par son flotteur. Je lui envoie un grand bonjour mais le retour se fait toujours attendre. J’en déduis qu’il ne doit pas pratiquer la langue de Molière !
Le chemin pour atteindre Gien continue de longer la Loire. Les feuilles des arbres se nuancent de teintes safranées et pourprées. L’automne est vraiment une belle saison !
Toujours personne sur ce chemin. Soudain, au détour d’une courbe, à trois cents mètres, je distingue une voiture légèrement encastrée dans les fourrés. Je continue ma marche et m’avance sans faire de bruit. Il doit bien y avoir quelqu’un aux abords de cette voiture. Je fais quelques mètres en direction du fleuve et je découvre un pêcheur occupé à regarder son flotteur. Je suis dans son dos. Il ne me voit pas. Le cadre est idyllique. Un pêcheur, les bords de Loire, le fleuve qui coule en toile de fond, les couleurs automnales. Superbe. Ce sera LA photo de la journée. Je règle mon appareil photo, je cherche le meilleur emplacement, je m’approche lentement jusqu’à une dizaine de mètres. Alors que je m’apprête à appuyer sur le déclencheur, un chien sorti de je ne sais où se met à sauteler et aboyer bruyamment. Je sursaute. Ni une, ni deux, je me redresse et me remet à marcher comme si de rien n’était. Le pêcheur se retourne, me voit mais je suis déjà à une vingtaine de mètres. Grosse frayeur ! Encore une fois, les chiens sont vraiment l’ennemi des marcheurs.
Ousson-sur-Loire - Gien : 26 km / 6h (cumul 661 km / 157h)
Département : Loiret (45)
Région : Centre-Val de Loire
Paysage : ** (les chemins qui longent la Loire teintés des couleurs d'automne)
Météo : ciel légèrement couvert le matin puis couvert en fin d'après-midi. 13°
Hébergement à l'arrivée : hôtel
Le physique : les protections anti-ampoules Epitac font des miracles => journée sans souci
Le moral : une longue discussion super intéressante avec un agriculteur : quel plaisir !
© Philippe MATHON