Ce matin, je range dans mon porte-carte la 4°carte IGN Top 100, la série jaune au 1/100000. Quand j'ouvrirai la 12°, je serai en vue des côtes de Bretagne !
Aujourd'hui, l'étape est courte, une douzaine de kilomètres. Nous sommes dimanche et l'idée de retarder le départ en fin de matinée a vite germé. Le soleil est de la partie. Nous avions convenu la veille avec les hôtes d'attendre le passage de la camionnette du boulanger pour prendre le petit déjeuner ensemble. Dans ces zones reculées, les petits villages ont perdu au fil du temps leurs commerces. Certains se sont transformés en commerce ambulant passant une à deux fois par semaine dans les bourgs et les maisons isolées. A 9h30, le boulanger arrive, signal que nous pouvons nous retrouver.
Je développerai par la suite dans la "Réflexion du jour" la délicate surprise qui m'attendait ce matin là. Plusieurs fois dans la journée, j'ai repensé à ces quelques minutes fortes en émotion. De cette marche à travers la France restera certainement dans ma mémoire (pourtant défaillante !) des moments forts, des instants de contacts humains chargés d'émotion et de sympathie.
Midi. Il est temps de partir. Le ciel est couvert mais la température de 16° est agréable. Je marche sur une petite départementale déserte à cette heure-là. Nous sommes dans une région de bocages, paysage caractéristique de cette partie du Morvan. Parfois, je m'imagine en Irlande avec ces prés et ces champs entourés de haies. La flore est riche, diversifiée et préservée. J'ai en tête le miel servi ce matin au petit-déjeuner. Les hôtes se sont mis à la production de miel depuis 3 ans. Sans expérience, ils ont appris sur le tas. En tâtonnant au début puis en progressant au fil du temps. Aujourd'hui, ils produisent des miels aux couleurs et aux goûts variés : miel de printemps, miel de fleurs sauvages et de prairies, miel de forêt....Il y a des points communs entre la viticulteur et l'apiculteur. Ce sont des métiers de connaissances techniques acquises année après année, en collectionnant échecs et réussites. Ce sont des métiers d'artiste. Je suis toujours émerveillé par ces personnes qui, sans aucune connaissance au départ, développent des compétences au point de fabriquer des choses de leurs propres mains. A Luze, en Haute-Saône, c'était l'histoire des crayons. Ici, c'est l'histoire du miel. Deux histoires qui racontent la même aventure : partir de rien, travailler et travailler encore, essuyer échecs et réussites, et un fil rouge à ces aventures : la passion. C'est elle qui pousse à la réalisation des choses.
Pour le pique-nique, je décide de quitter la départementale et de m'enfoncer de quelques centaines de mètres en forêt. Je tombe sur un étang. Personne. Désert total. Calme absolu. Quelle est la dernière personne venue ici ? Je m'amuse à observer les poissons qui viennent à la surface, dessinant des ronds concentriques qui viennent s'échouer sur les rives de l'étang. J'aime ces moments de solitude. Je sais qu'ils sont temporaires et ne me pèsent pas, bien au contraire. Au dîner d'hier soir avec les hôtes, nous discutions des agriculteurs de la région et évoquions le fait qu'une majorité d'entre eux sont célibataires. Des candidats idéals pour l'émission "L'amour est dans le pré" ! Pour eux, ce Morvan si peu habité, cette solitude n'est pas forcément choisie mais subie. Je réalise que ma solitude choisie et temporaire est un luxe. J'en apprécie chaque instant.
Je reprends la départementale toujours aussi désertique, la quitte pour prendre un sentier qui longe la ligne du TGV Sud-Est reliant Paris à Lyon. Combien de fois l'avons-nous prise pour rendre visite à Amandine pendant ses années d'études à Lyon ? Aurais-je imaginé la longer ainsi à pied au fin fond du Morvan ? Le trafic est dense en ce milieu d'après-midi. En 45 minutes, je compterai plus d'une dizaine de trains, parfois espacés de moins de 10 minutes entre chaque rame. Au bruit du passage du TGV s'ajoute le bruit des quads, ces motos à quatre roues. C'est un véhicule très prisé des Morvandeaux. Nous sommes dimanche et la distraction de l'après-midi est de s'enfoncer dans les bois et de faire rugir le son des moteurs.
A l'approche de Saulieu, le chemin n'est pas entretenu. Le sol est bosselé par le passage de tracteurs et les herbes sont hautes. A chaque pas, je risque de me tordre les chevilles. Les yeux sont fixés sur le sol et le pas est lent. Au loin me parvient le bruit d'une fête de village. Un groupe de rock joue les bons vieux tubes des années 60 : Sylvie Vartan, Jacques Dutronc, Richard Anthony, Claude François. En arrivant sur la place de Saulieu, je découvre la raison de cette petite festivité. C'est la fête annuelle de la Nationale 6, l'occasion de ressortir toutes les voitures des années 60, la Citroën 2CV en vedette. L'ambiance est sympathique et bon enfant. Les années 60 ne sont-elles pas dans l'esprit collectif les années bonheur ?
En rejoignant ma chambre d'hôtes, je passe à côté du restaurant "La Côte d'Or" tenu par le passé par Bernard Loiseau. Son suicide, à l'époque, avait créé une vive sensation dans le milieu gastronomique. Je jette un coup d'oeil à la carte. En entrée, les belles langoustines rôties à 92€ ou l'étuvée d'asperges vertes de Mallemort à 95€. En plat, la pièce de faux-filet boeuf de Charolles à 95€, le turbot à 98€ ou le riz de veau doré à la purée de pommes de terre truffée à 120€. Pas de repas d'hôtes prévu ce soir. Ce sera une pizza à 10€ au Café du Nord en compagnie de Tsonga qui a bien mérité son quart de finale à Roland Garros !
Thoisy-la-Berchère - Saulieu : 12 km / 3h (cumul 438 km / 100h)
Département : Côte d'Or (21)
Région : Bourgogne
Paysage : ** (des prairies et des bois et très peu d'habitations)
Météo : ciel couvert. 21°
Hébergement à l'arrivée : chambre d'hôtes
Le physique : trop de routes asphaltées et peu de chemins de terre => retour des ampoules !
Le moral : pourvu que les ampoules disparaissent pendant la nuit !
Le plaisir de recevoir sans contrepartie. Chambre d'hôtes. Surprise, étonnement, embarras, émotion, sympathie
A suivre ...88 à 91
© Philippe MATHON